Les Chambres rouges ou le ‘true crime’ repensé
Par Jade Hanesse
Photo DR
Publié le 26 février 2024
Tous les jours, sans faute, deux jeunes femmes se rendent dans la salle d’audience du tueur de trois adolescentes à Montréal. L’homme attire, l’homme intrigue. Est-il fou ? L’est-il plus que les personnes qui assistent à ce procès ? Au-delà du ‘true crime’, ce film amène à questionner ses propres passions, pensées, obsessions…
Le film québécois Les chambres rouges est un thriller psychologique basé autour du procès d’un meurtrier sanglant qui vend les vidéos de ses crimes sur le dark web. Ces vidéos sont tournées dans ce que l’on nomme les Red rooms ou chambres rouges et sont ensuite vendues aux enchères. Le rouge sera par ailleurs une couleur clef de ce film, remplaçant la vision de réelles images pouvant choquer le·a spectateur·ice. De cette manière, le film questionne la place du regard dans toutes les histoires de true crimes à travers les deux jeunes femmes qui sont prêtes à dormir devant le tribunal pour ne pas rater un seul moment du procès, tout en répétant ces mêmes procédés auprès du spectateur dont le regard peut, à son tour, devenir malsain.
Un film québécois « profondément captivant et complexe »[1] ….
Pascal Plante, le réalisateur de ce film, a pris le parti pris de ne mettre en avant aucune scène de violence, aucune scène de torture, afin que ce soit à l’imaginaire du·de la spectateur·ice de faire le travail, mais ce n’est pas tout. Comme il le souligne dans un entretien, il souhaitait mettre en avant un autre aspect du true crime, de plus en plus présent sur internet et grandement banalisé, voire fétichisé – on peut par exemple penser au succès international de la série Dahmer. Dans ce film, pas de sang, pas de meurtre, simplement des mots et des questions, beaucoup de questions : pourquoi ce criminel ? Est-il le vrai coupable ? Pourquoi les protagonistes ont-elles une véritable obsession pour ce tueur ? Qui sont-elles vraiment ? Qui est-on vraiment ?
Face à une telle mise en scène, la peur se déplace : tel un véritable thriller, l’horreur ne se joue pas dans les faits relatés, mais bien dans l’esprit humain. Cet esprit que l’on ne peut cerner, que l’on ne comprend pas et qui reste bien caché. Le personnage de Kelly-Anne, interprété par Juliette Gariépy et celui de Clémentine, joué par Laurie Fortin-Babin, présentent deux groupies stéréotypées des tribunaux : l’une sans émotions, insensible à toute mention de violence, comme si elle en avait déjà vu des centaines avant celle-ci ; l’autre dans l’affect, qui est persuadée que l’accusé n’est pas coupable des crimes décrits. Le·a spectateur·ice ne pourra suivre que leur point de vue, restant pour autant, toujours en dehors de leur esprit grâce à une focalisation externe. La première va alors endosser le rôle de guide, autant pour sa nouvelle connaissance que pour le·a spectateur·ice face aux réalités des crimes médiatisés que l’on ne peut minimiser ainsi que face aux dangers des réseaux, même lorsque l’on se croit protégé·e.
Un thriller grandement récompensé…
Depuis sa sortie en été 2023 au Québec, il a déjà reçu le prix du meilleur long-métrage du festival Fantasia qui s’est tenu en été de l’année dernière, après avoir laissé une très bonne impression au public en tant que film d’ouverture du festival. Le festival a, au final, décerné quatre prix au long-métrage de Pascal Plante. Ce film a également reçu deux prix Iris, sans compter le prix du meilleur scénario du Cheval Noir qui a également récompensé l’actrice principale, Juliette Gariépy pour sa performance à couper le souffle. En effet, sa performance, non seulement émotionnelle mais également physique et psychologique reste dans les esprits après être sorti·e de la salle de projection : un visage fermé, une vie mystérieuse, des émotions pour le mieux contrôlées, tout cela transcrit à travers un jeu d’actrice pour le moins impressionnant. Finalement, le film a également reçu le prix Sandro Forte de la meilleure musique.
Pourtant, le réalisateur lui-même est étonné d’un tel succès, considérant son film comme « à côté de la plaque » : film à côté de la plaque qui récolte 28 000 entrées en un mois dans les cinémas français. Certain·es ont d’ailleurs été déçu·es de ne pas voir la violence tant discutée dans ce film, mais quelle place a l’imagination si tout est montré tel quel ? Ce film peut sembler banal de prime abord, mettant à nouveau en avant des groupies de tueur en série, la violence et la psychologie. En réalité, cette critique de « la violence consommée un peu bêtement tous les jours » [2] est un retournement de situation perpétuel, soutenu par une musique angoissante. C’est une chose de regarder des documentaires sur des tueur·euses sanglant·es et de comprendre qu’il ne faut pas le faire, c’en est une autre de les regarder à travers les yeux de personnages, de voir d’autres êtres humains en souffrir. Par ce film, Pascal Plante rend toute cette violence réelle, humaine.
… et qu’il ne faut pas laisser passer !
À la manière de Shutter Island¸ l’énigme qui semble principale au film devient secondaire lors du dénouement. Il ne s’agit pas alors pour le·a spectateur·ice de résoudre le problème énoncé dans le film, mais bien de comprendre l’environnement dans lequel iel grandit, les personnages qui le portent. Le public fait alors face à un grand nombre de questions qui n’auront peut-être jamais de réponse et à des angoisses et des peurs auxquelles personne ne s’attend.
En bref, si vous hésitez encore, n’hésitez plus et allez voir Chambres rouges !
Sources
[1] «Les chambres rouges»: coup de poing et coup de maître | Le Devoir
[2] Le thriller «Les chambres rouges» multirécompensé à Fantasia (journalmetro.com)
[3] Les chambres rouges | Entrer à ses risques | La Presse