Pulse : une jeunesse en ébullition
Par Madeleine Gerber
Photo ©Kerttu Hakkarainen
Publié le 24 février 2023
Il est des films dont on n’entend pas parler. Dont on ne voit pas d’affiche dans le métro. Des films qu’on décide de voir un peu par hasard, sur un coup de tête. Des films dont on n’attend rien, mais qui nous donnent tout. Des films comme Pulse.
Déjà sorti à l’étranger sous le nom de Heartbeast, le long-métrage d’Aino Suni nous plonge dans un monde aux couleurs éclatantes et aux émotions exacerbées. Tournée en France, en Finlande et en Allemagne, cette coproduction a déjà été nommée pour le Jussi du meilleur film, de la meilleure cinématographie, de la meilleure musique et de la meilleure révélation, dans le pays d’origine de sa réalisatrice. Il est en salle en France depuis le 22 février.
Une histoire passionnelle et passionnante
Pulse, c’est l’histoire d’Elina, une jeune femme de 17 ans qui se lance dans le rap. Sa vie est bouleversée par son départ de la Finlande, quand sa mère décide d’habiter sur la côte d’Azur, avec son nouveau compagnon. Mais une fois sur place, ce qui la bouleverse le plus c’est Sofia, la fille de son beau-père. Si le jour cette dernière semble mener la vie parfaite d’une danseuse talentueuse, la nuit elle se livre à tous les excès, entraînant Elina avec elle. Le duo inséparable devient alors de plus en plus toxique.
Voilà enfin un film qui ne fait pas du lesbianisme l’enjeu principal de son intrigue. C’est plutôt les rapports de pouvoir et d’influence qui intéressent la réalisatrice. Le·a spectateur·rice se questionne. Comment l’amour peut-il mener à la destruction ? L’amour qu’on voue à une amie, une sœur, une amante peut-il se confondre ? Et finalement, qu’est-ce que l’amour ?
Les protagonistes principales sont bien caractérisées et non manichéennes. Pas de quartier pour l’être humain, dépeint dans toute sa brutalité et son égoïsme. Les acteur·rices, Elsi Sloan et Carmen Kassovitz, sont tous·tes deux excellent.es dans leur rôle. Le public n’a plus à faire à des comédien·nes talentueux·ses, mais à deux adolescentes qui s’entredéchirent. Il cherche à décrypter et comprendre leurs sentiments tout au long du film. La fin permet à chacun·e de trouver sa propre interprétation dans un jeu de regard saisissant. Les choix artistiques d’Aino Suni font d’ailleurs écho à ce panel d’émotions.
Une direction artistique saisissante
La mise en scène de Pulse est brillante par une multitude d’aspects. Dès le début du film, on est plongé dans cet univers de rébellion adolescente, de lâcher prise et d’expression vitale. Les couleurs éclatantes, les lumières artificielles, les danses ; autant de reflet de la lutte intérieure des personnages. L’élément le plus marquant reste peut-être le vert des cheveux d’Elina. On la reconnait de loin. La couleur se détache et s’affirme à l’écran, davantage que le personnage lui-même. En même temps, il lui permet de se fondre dans un environnement naturel, en accord avec un comportement de plus en plus bestial. Les costumes participent aussi aux jeux des couleurs qui s’opposent et se répondent.
Les décors luxueux de la côte d’Azur nous transportent dans un autre monde. Un monde idéalisé où tout le monde cherche à faire bonne figure. La danse, la drogue, l’alcool, le sexe : la jeunesse explore tout en quête de bonheur. Mais les réveils sont difficiles ; retour à une réalité désenchantée. Le travail sur la lumière permet au spectateur de s’identifier au regard, porté par les personnages, sur leur environnement. Les durs contrastes et la lumière aveuglante du matin s’opposent aux lumières dansantes et aux tons chauds, presque comme un velours nimbant les figures dans la nuit.
Le jeu des ombres est particulièrement bien travaillé sur des plans iconiques du film, comme celui dans l’escalier. Le décor nous permet de comprendre l’enfermement du personnage. Assise dans l’escalier, Elina semble descendre aux enfers. Cernée de noir, son ombre projette des barreaux sur les marches. Même ses habits semblent happés par ce noir sans fin. Seuls quelques éclats de peaux subsistent, rendant l’image d’autant plus frappante.
Enfin, on peut noter l’utilisation de plans subjectifs que la jeune femme filme avec son téléphone. Cela permet de découvrir davantage Elina, qui cherche à capturer la beauté dans son environnement. Ces vidéos lui donnent le contrôle sur ce qui l’entoure. Contrôle qu’elle cherche à exercer sur Sofia, tentant de capturer son essence en musique.
Une musique qui nous emporte
Elina trouve refuge dans le rap qui lui permet d’exprimer ses émotions et ses pulsions les plus fortes. Ainsi la bande originale joue-t-elle un rôle majeur dans le film. L’auteur de la musique, Jean-Benoît Dunckel, avait déjà fait ses preuves pour le film Été 85 (François Ozon, 2019). Notons aussi le choix des musiques de rap finlandais, interprété par Mercedes Bentso (A Serbian Film, Huorantelotus) et aussi Elsi Sloan (Don’t look back, L’enfer à deux). Le son accompagne à la perfection les images qui défilent à l’écran, traduisant en notes les sentiments violents d’une jeunesse à fleur de peau.
Enfin, la chanson phare du film – qui tourne en boucle dans ma playlist Spotify, s’appelle L’enfer à deux. Le titre à lui seul pourrait pitcher le film. Les paroles ont été écrites par Chilla, la talentueuse rappeuse française, qui fait aussi une apparition dans le film. La mélodie entêtante rappelle le son d’une boîte à musique qui se détraque. La voie caressante d’Elsi Sloan contraste avec les mots violents, sanguinolents qui sortent droit du cœur d’Elina.
J’espère que cette revue vous donnera envie d’aller voir Pulse au cinéma. Il est important de soutenir des propositions artistiques de ce type, afin qu’elles continuent d’exister. Alors n’hésitez plus et foncez voir le film, dans les salles françaises depuis le 22 février.