À la découverte de l’hippocampe
Par Claire Boyer
Publié le 19 avril 2022
Du 14 au 20 mars s’est tenue la 24e édition de la Semaine du cerveau, qui a, comme chaque année en mars depuis sa création en 1999, rassemblé chercheur·euses et scientifiques avec le grand public. Cette manifestation internationale, organisée simultanément dans plus d’une centaine de pays et coordonnée en France par la Société des neurosciences, met le cerveau à l’honneur. L’objectif est de sensibiliser aux avancées et enjeux de la recherche sur le cerveau, ainsi qu’à ses implications sociétales. L’occasion, parmi les nombreux évènements proposés, de découvrir l’existence et le rôle d’une aire cérébrale spécifique : l’hippocampe, siège de nos souvenirs.
Dans Adaptabilité et mémoire, une histoire hippocampique, Marion Noulhiane, chercheuse en neuroscience et enseignante à l’Université de Paris, présente une structure cérébrale bien particulière : l’hippocampe, qui permet de stocker les souvenirs du quotidien, contextualisés dans le temps et l’espace, c’est-à-dire ceux où nous sommes capables de nous rappeler avec qui nous étions, dans quel contexte, à quelle date… Nommé ainsi à cause de sa forme recroquevillée, semblable à un cheval des mers, ou à un coquillage, l’hippocampe joue un rôle central dans le fonctionnement de la mémoire et la construction de notre identité, en participant à écrire, stocker et protéger les souvenirs, tout au long de notre vie.
Une mémoire, des mémoires ?
Si nous englobons dans le terme générique de mémoire tout ce qui a trait au rappel et à la conservation des choses passées, il existe en réalité de nombreux types de mémoires, et l’information, selon sa nature, le contexte de son apprentissage et la durée de stockage, n’est pas traitée par les mêmes régions cérébrales : c’est ce qu’englobe mieux la notion de système mnésique. Ainsi, la mémoire à long terme, contenant les souvenirs qui nous soutiennent sur toute la durée de notre vie, se divise entre la mémoire dite déclarative, qui implique que l’on se rappelle consciemment du contexte d’apprentissage, et la mémoire non-déclarative qui englobe notamment les apprentissages réflexes, sans nécessiter de souvenir conscient au moment où l’individu « récupère » l’information. Ainsi, même sans avoir pratiqué pendant longtemps, la procédure pour faire du vélo nous revient instinctivement. Mais la mémoire déclarative est elle-même subdivisible : la mémoire sémantique regroupe la mémoire des concepts, des théories et du langage, sans forcément se rappeler du contexte d’apprentissage (il est par exemple rare de se souvenir précisément d’avec qui et quand nous avons appris tel ou tel mot), tandis que la mémoire épisodique, bien distincte, est celle prise en charge par l’hippocampe.
Mémoire épisodique et identité
« Il semble qu’il existe dans le cerveau une zone tout à fait spécifique qu’on pourrait appeler la mémoire poétique et qui enregistre ce qui nous a charmé, ce qui nous a ému, ce qui donne à la vie sa beauté » écrivait Milan Kundera en 1984 dans L’Insoutenable légèreté de l’être. En effet, la mémoire épisodique est celle qui traite et contient les souvenirs des évènements et expériences vécus personnellement, avec leur contexte (la date, le lieu, mais aussi l’état émotionnel). Par ces représentations, liées à des circonstances spécifiques, la mémoire épisodique permet le voyage mental dans le temps. Le souvenir épisodique est ainsi unique : il s’accompagne d’une reviviscence, c’est-à-dire la capacité à « revivre » un évènement passé, à travers des images mentales, des émotions…
L’hippocampe est un site unique de néoneurogénèse, c’est-à-dire la capacité à fabriquer des neurones, et donc à pouvoir former de nouveaux apprentissages
Ce voyage mental conscient implique de fait une connaissance de soi-même (on parle de conscience autonoétique), au fondement même de la construction dès l’enfance de la notion d’identité, par cette capacité à se remémorer les évènements du passé qui nous ont personnellement impactés.
Le cas HM
La découverte du rôle de l’hippocampe dans la mémoire épisodique et l’intensification des recherches scientifiques autour de la mémoire sont liées au « cas HM » (des initiales du patient, Henry Gustav Molaison), dans les années 1950 au Canada. À l’époque, l’épilepsie, déclenchée par une activité neuronale trop importante, était traitée par voie médicamenteuse ou par une intervention chirurgicale. C’est la deuxième option qui est choisie pour le patient HM, qui serait devenu épileptique après une chute : le neurochirurgien, le docteur Scoville, procède alors au retrait des deux hippocampes (zones de la suractivité).
Mais par la suite, si H.G. Molaison se retrouve bien guéri de ses crises épileptiques, il présente également une amnésie antérograde massive, en se montrant incapable de faire de nouveaux apprentissages (il ne retient une information que quelques secondes) et encore moins de stocker de nouveaux souvenirs épisodiques. Les souvenirs de type procéduraux (langage, pratique du piano…) sont eux intacts. Son amnésie remonte jusqu’à l’enfance, et il n’en guérira jamais. Son cas marque cependant l’ouverture d’un vaste champ de recherche consacré, entre autres, à l’hippocampe.
L’hippocampe, structure fascinante
Très protégé, l’hippocampe est enfoui à l’intérieur du cerveau, à l’arrière du lobe temporal, connecté à l’amygdale qui gère les émotions, et en lien avec le cortex préfontal, qui participe au tri des souvenirs. L’hippocampe, fruit de l’évolution, est lui-même composée d’une multitude de petites régions (objet de travail en neuroimagerie) qui communiquent les unes et avec les autres et permettent ainsi de gérer le tri et le stockage d’un nombre incalculable d’évènements, et ce tout au long de notre vie. Ce réseau cellulaire agit comme un véritable ordinateur pour gérer l’afflux de données et éviter les phénomènes de télescopage (mélange des souvenirs les uns avec les autres), en procédant à une discrimination systématique pour identifier en permanence dans l’environnement ce qui est « nouveau » de ce qui est « familier » ou « légèrement différent ».
Cette formidable adaptabilité (ou « plasticité) s’explique par le fait que l’hippocampe est un site unique de néoneurogénèse, c’est-à-dire l’une des grandes structures du cerveau à fabriquer des neurones, même après la naissance, et donc à pouvoir former de nouveaux apprentissages. Plus de nouveaux neurones sont produits, plus l’individu gagne dans sa capacité à distinguer les évènements : les nouveaux neurones se chargent d’encoder les informations nouvelles, tandis que les neurones plus matures agissent sur la discrimination fine et l’encodage de ce qui a déjà été vu.
Anecdote : la découverte dans les années 90 de l’hippocampe, comme producteur de neurones, dérive notamment de l’étude des canaris chanteurs, dont le nouveau chant chaque année était corrélé à l’apparition de nouveaux neurones à chaque saison, qui avaient, néanmoins, pour particularité d’effacer les chants précédents (contrairement à l’humain).
Amnésie infantile et réaction de l’hippocampe à des situation de stress
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi, malgré tous vos efforts de concentration, il vous était impossible de vous souvenir précisément de votre petite enfance ? Là encore, c’est toujours une histoire d’hippocampe. De la naissance à trois ans, l’hippocampe n’est pas encore assez développé pour être capable de stocker les souvenirs. On parle dès lors d’amnésie infantile, car l’enfant n’a pas encore les notions du temps, ni du langage, pour pouvoir élaborer des souvenirs « dans un script » (contextualisés, pouvant donner lieu à une verbalisation). L’émergence de la mémoire épisodique ne se fait en réalité qu’aux âges de six-sept ans. C’est pourquoi, plus l’enfant grandit, plus il est capable de raconter des souvenirs précis et détaillés. La mémoire épisodique, associée à la mémoire sémantique, vient ainsi alimenter un autre type de mémoire : la mémoire dite autobiographique – l’ensemble des évènements et informations constituant l’histoire personnelle.
Un pan important de la recherche en neurosciences s’attache également à étudier le comportement de l’hippocampe dans certaines situations extrêmes, comme dans les cas de manque d’apport d’oxygène, l’hypoxie. Souvent, l’hippocampe est l’une des premières zones à se « fermer » et s’éteindre en cas d’hypoxie, dans un mécanisme de survie : il arrive ainsi que nous connaissions de plus ou moins longues périodes d’amnésie dans des situations particulièrement stressantes. Mais les apnéistes sont, par exemple, capables de résister à une hypoxie volontaire, et ne souffrent pas d’amnésie sévère, même après avoir été privé d’oxygène, parfois jusqu’à plus de dix minutes. L’étude de cette évolution de l’hippocampe, capable d’adaptation et d’autoprotection, pourrait notamment être rattachée aux problématiques de lutte contre l’oubli et notamment contre la maladie d’Alzheimer, liée à une dégénérescence de l’hippocampe.
Ainsi, l’hippocampe, siège de notre mémoire épisodique, caractérisé par une incroyable adaptabilité, et producteur de neurones même après la naissance, est une aire cérébrale fascinante qui permet l’accueil de tous les souvenirs et évènements de nos vies. Son rôle est fondamental dans la formation du sentiment d’identité : « sans hippocampe, on ne sait plus qui on est ».
Par chance pour les indisponibles et curieux·ses, un cycle entier de conférences mené par des scientifiques de NeuroSpin, le centre de recherche pour l’innovation en imagerie cérébrale (situé sur le site du CEA[1] Paris-Saclay) est disponible en replay en ligne, à l’adresse suivante : https://www.youtube.com/playlist?list=PLLKquSi64nRY1p0ddPZVk4MgRnvxaCUO_.
Pour en savoir plus sur l’hippocampe et les particularités de notre cerveau, de nombreux articles et podcasts sont disponibles en ligne, notamment sur le site dédié à la semaine du cerveau (https://www.semaineducerveau.fr/). L’article « De la mémoire épisodique à la mémoire autobiographique » de Laurence Picard, Francis Eustache et Pascale Piolino, intégralement consultable sur Cairn, creuse particulièrement ces liens entre mémoire épisodique et conscience et connaissance de soi (https://www.cairn.info/revue-l-annee-psychologique1-2009-2-page-197.htm?contenu=article). N’hésitez pas !
[1] Le CEA (Commissariat à l’Energie Atomique et aux Energies Alternatives) est un organisme public de recherche scientifique qui opère dans des centaines de domaines de recherches (le nucléaire et la radioactivité mais aussi le vivant, le médical, l’informatique et la robotique, l’aviation, la sécurité, le bâtiment…). Il existe 10 centres implantés en France