Sam Szafran ou l’art de la série
Par Suzanne Brière
Photo DR
Publié le 21 décembre 2022
Des ateliers sous la neige, des escaliers déformés ou bien encore des feuilles de philodendron bleues. Voici l’univers du peintre français Sam Szafran (1934-2019) dans lequel nous sommes entraînés dans la rétrospective que propose le musée de l’Orangerie, « Sam Szafran, Obsession d’un peintre ».
Après une enfance difficile, marquée par la violence de la Seconde Guerre mondiale, le jeune Sam Szafran se lance dans une formation artistique autodidacte, qui lui permet de trouver « une forme d’enracinement dans la vie », comme l’explique Julia Drost, commissaire de l’exposition. Après s’être brièvement essayé à l’abstraction, il décide de rester ancré dans l’art figuratif, malgré les émules abstraits de son époque. Son œuvre est marquée par certains sujets et certaines techniques artistiques récurrentes, il est un peintre de l’obsession.
Une mise en abîme de l’artiste
L’exposition s’ouvre sur une série de fusains dans laquelle Sam Szafran représente son atelier. Szafran, comme Monet, se plaît à travailler un même sujet, d’un même point de vue, mais de manière différente en fonction du temps qui passe. Cette première série sur l’atelier Rue du Champ de Mars révèle, par exemple, ses différents états d’esprit, qu’il retranscrit au travers de la météorologie. L’atelier se retrouve sous la neige, sous la pluie ou bien encore mis en désordre par l’orage.
Comme une mise en abîme de son travail d’artiste, ses ateliers sont bien souvent le sujet même de ses œuvres. Après cette série de l’atelier du Champ de Mars, il représente l’atelier de la Rue de Crussol et l’imprimerie Bellini, où il a fondé une résidence d’artiste. L’architecture et l’ambiance de ces lieux deviennent le sujet même de beaucoup de ses œuvres.
L’influence du cinéma
Comme Szafran l’a lui-même dit, sa première école visuelle est le cinéma. Ses œuvres sont comme des travellings, notre regard glisse et se déforme par le mouvement. Cette influence est particulièrement visible dans sa série des escaliers, un des sujets qu’il a le plus représenté. Le regard est déformé, les escaliers deviennent des labyrinthes, les courbes semblent plier les marches.
Szafran explique sa démarche de la manière suivante : « Alors pour faire l’ensemble, je me suis mis à bouger. J’étais obligé de m’identifier à une araignée qui monte et qui descend au bout de son fil dans la cage de l’escalier, qui peut voir par-dessous et pardessus […]. Et donc, j’ai commencé à me mobiliser, comme si j’étais une caméra, à bouger, à tourner.».
Une invasion végétale
En 1966, Szafran voit un philodendron dans l’atelier d’un ami. Complètement fasciné par cette plante, il en fait une série. Les feuilles sont d’abord bleues et envahissent ensuite les espaces de ses toiles de manière presque monstrueuse. Puis en utilisant l’aquarelle, les feuilles deviennent vertes et sa femme Lilette vient ponctuer les œuvres d’une présence humaine, puisqu’elle contemple la jungle qui l’entoure.
Des médiums particuliers
L’œuvre de Szafran est fascinante pour les sujets qu’elle traite et la singularité du regard que l’artiste porte sur le monde qui l’entoure.
Cependant, ce qui est particulièrement marquant et bien mis en avant dans cette rétrospective, ce sont les médiums utilisés par l’artiste. Si l’exposition s’ouvre sur une série au fusain, ce n’est pas la technique privilégiée de l’artiste. En effet, en 1960, on lui offre sa première boîte de pastel. Il se lance alors le défi de réaliser ses œuvres avec ce médium compliqué à manier, puisqu’il allie à la fois la ligne et la couleur, comme l’explique Julia Drost. Un film projeté dans l’exposition montre l’artiste en train de dessiner au pastel dans son atelier. Cela permet de mettre en avant sa manière de travailler et ainsi de porter un regard différent sur ses œuvres. Une boîte de pastel est présentée dans l’exposition, permettant également de mieux assimiler les techniques de l’artiste.
Par la suite, il va aussi beaucoup utiliser l’aquarelle sur soie qui lui permet de faire de plus grand format. Enfin, il va faire le pari osé d’allier ces deux pratiques, ce que les dernières œuvres de l’exposition nous permettent d’observer.
L’œuvre de Szafran est encore aujourd’hui très peu connue. Pourtant elle est particulièrement intéressante et marquante par sa singularité. Ces œuvres nous permettent, non pas de rentrer dans le réel, mais dans un réel, celui de l’artiste. Szafran nous invite à entrer dans son monde, à le découvrir. Ainsi, cette très belle rétrospective, à découvrir au Musée de l’Orangerie jusqu’au 16 janvier 2023, nous le permet.
Photo : Feuillages (1986-1989), Jean-Louis Losi / Collection particulière © Sam Szafran, ADAGP, Paris, 2022