PLONGÉE DANS L’ÉDITION #5 : Formes numériques et extension du domaine de l’édition

Par Lou Trullard
Photo ©Karolina Grabowska / Pexels
Publié le 3 juin 2025
L’avènement du numérique a transformé la manière dont on envisage l’édition. Autrefois domaine réservé aux maisons d’édition, l’édition connaît aujourd’hui un bouleversement, bousculée par de nouveaux modes de création de contenu. Ces outils numériques redéfinissent les règles et repoussent les limites de ce qui est considéré comme du contenu « édité ».
Les blogs permettent une expression personnelle et influente, les wikis favorisent la collaboration, et les réseaux sociaux redéfinissent la diffusion de l’information. Ces nouvelles formes d’édition sont participatives, accessibles à tous·tes, et changent notre manière de produire et consommer de l’information.
Les blogs : une nouvelle écriture
Les blogs, en particulier, ont révolutionné la manière dont nous partageons nos pensées et nos expériences. Dès la fin des années 1990, ils se sont imposés comme une sorte de journal intime numérique accessible à tous·tes. À l’origine, ils étaient essentiellement des journaux personnels, des lieux d’expression où chacun·e pouvait se livrer sans filtre. Le terme même de « blog » provient de « weblog », et c’est Jorn Barger1 qui l’a popularisé en 1997 avec son site Robot Wisdom. Ce qui est fascinant avec les blogs, c’est la manière dont ils se sont rapidement démocratisés grâce à des plateformes comme Blogger et WordPress. Aujourd’hui, près de 43 % des sites Web reposent sur WordPress, ce qui montre l’ampleur de cette révolution2. Plus besoin d’être un·e expert·e en technologie pour créer son propre espace d’expression. On peut bloguer sur n’importe quel sujet, que ce soit de la cuisine, du voyage, ou même des réflexions plus profondes sur des questions de société. Un exemple marquant est celui de The Pioneer Woman3, un blog créé par Ree Drummond. Ce blog, qui a commencé comme un simple récit de vie sur la vie à la ferme, est devenu une plateforme influente, mêlant recettes, conseils culinaires et réflexions personnelles. Grâce à son succès, Ree Drummond a même signé des contrats de publication avec des maisons d’édition, illustrant comment un blog peut mener à une carrière d’auteure.
Les blogs ne se limitent plus à des journaux personnels. Ils sont devenus des outils de communication et d’influence, parfois même de véritables œuvres littéraires. Des plateformes comme Hypothèses.org rassemblent des carnets de recherche qui enrichissent le domaine des sciences humaines. Par exemple, Le Tiers Livre de François Bon s’apparente à une revue en ligne, offrant des réflexions littéraires sur des sujets variés, de l’écriture à la lecture, en passant par la critique littéraire. On assiste à une véritable diversification des contenus, et cela soulève des questions intéressantes sur la place du blog dans le paysage éditorial. L’impact des blogs dans des contextes sociaux et politiques est également notable. Lors des printemps arabes, des blogs comme Arabawy4 ont servi de relais d’information et de coordination, permettant de contourner les médias traditionnels. Ces blogs ont joué un rôle crucial en relayant des informations sur les manifestations, mobilisant des foules et ébranlant des systèmes autoritaires. C’est dans ce genre de moment que l’on réalise à quel point un blog peut être un outil puissant.
Les wikis : collaboration et édition
Les wikis, quant à eux, représentent une autre facette de cette révolution numérique. Alors que les blogs sont souvent l’œuvre d’un·e seul·e auteure·, les wikis sont fondamentalement collaboratifs. Le premier wiki, appelé WikiWikiWeb5, a vu le jour en 1995, mais c’est Wikipédia, fondé en 2001, qui a véritablement popularisé ce format. Les wikis reposent sur un modèle où chacun·e peut apporter sa pierre à l’édifice. Cette dimension collective est fascinante car elle nous amène à repenser la notion même d’autorité en matière de connaissance. Avec les wikis, la qualité des contenus repose sur une régulation collaborative.
C’est assez impressionnant de voir comment des plateformes comme Wikipédia ont su instaurer des règles qui garantissent une qualité comparable à celle des encyclopédies traditionnelles. Une étude de 2012 a montré que Wikipédia rivalisait avec l’Encyclopaedia Britannica en termes de précision6. Ce modèle de contribution collective a également des implications pour des domaines spécifiques comme la médecine, où des études ont révélé que les articles médicaux sur Wikipédia étaient souvent aussi fiables que ceux de revues médicales réputées.
Ce que j’apprécie avec les wikis, c’est cette culture de la collaboration qu’ils véhiculent. Ils permettent de construire collectivement une base de connaissances, et ce modèle collaboratif a des répercussions profondes sur l’éducation et la recherche. Des projets comme Wikiversity7 vont encore plus loin en proposant des plateformes d’apprentissage collaboratif. Par exemple, des cours ouverts sur des sujets variés, comme les mathématiques ou la physique, sont accessibles à tous·tes, permettant d’apprendre de manière interactive et participative.
Les réseaux sociaux : nouveaux acteurs de l’édition
Enfin, impossible de parler des formes numériques de production de contenus sans mentionner les réseaux sociaux. Ces plateformes ont radicalement transformé notre façon de produire et de consommer de l’information. Des géants comme Facebook, Twitter et Instagram sont devenus des canaux incontournables de diffusion, avec une influence énorme sur notre quotidien. Facebook compte aujourd’hui près de 2,9 milliards d’utilisateur·ices actif·ves chaque mois. La manière dont chaque réseau social impose ses propres formats, influence directement notre façon d’écrire et de communiquer. Sur Twitter, avec sa limite de 280 caractères, il faut être concis·e et percutant·e. Des mouvements comme le #MeToo8et le #BlackLivesMatter ont pris de l’ampleur grâce à Twitter, montrant comment une simple phrase peut générer un débat mondial. Sur Facebook, les utilisateur·ices peuvent se permettre d’être plus narratif·ves, comme l’initiative Humans of New York9, qui partage des récits personnels touchants d’inconnu·es et crée un lien humain fort.
En plus de leur fonction de publication, les réseaux sociaux jouent aussi un rôle de validation de l’information. Ils permettent de « curer » les contenus, de structurer et d’ordonner l’information selon nos préférences. On l’a bien vu lors des attentats de Paris en 2015, où Twitter a servi de source d’information en temps réel, influençant directement la couverture médiatique10. Des outils comme Facebook Live permettent également de diffuser des événements en direct, changeant notre rapport à l’information et à la communication.
Conclusion
En définitive, ces nouvelles formes de production de contenus bouleversent le paysage éditorial. Elles nous montrent que l’édition n’est plus réservée aux maisons d’édition et aux professionnel·les. Aujourd’hui, chacun·e peut s’approprier ces outils pour partager ses idées, ses connaissances et ses expériences. Blogs, wikis et réseaux sociaux redéfinissent l’édition comme un processus collectif et ouvert, qui évolue sans cesse en fonction des innovations technologiques et des attentes du public.
Il est essentiel de comprendre ces transformations pour appréhender l’avenir de l’édition. Nous vivons une époque passionnante où tout le monde peut contribuer à l’enrichissement du savoir collectif. La diversité des voix et des formats de publication nous invite à repenser la manière dont nous consommons et produisons de l’information. Je suis persuadée que ces outils continueront à évoluer et à transformer notre relation à l’écriture et à la lecture. L’édition devient ainsi un terrain d’expérimentation, accessible à tous·tes et en perpétuelle mutation.
1 Jorn Barger, créateur du terme « blog », a fondé Robot Wisdom en 1997, un site qui a joué un rôle clé dans la popularisation des blogs.
2 Selon une étude de W3Techs, environ 43 % des sites Web utilisent WordPress comme système de gestion de contenu (CMS).
3 The Pioneer Woman est un exemple emblématique de blog ayant évolué vers une carrière d’auteure, illustrant la convergence entre le numérique et l’édition traditionnelle.
4 Le blog Arabawy, fondé par Alaa Abd El Fattah, a été un acteur majeur lors des révolutions arabes, servant de plateforme pour l’information et l’organisation.
5 Le premier wiki, WikiWikiWeb, a été créé par Ward Cunningham en 1995, mais c’est Wikipédia, fondée en 2001 par Jimmy Wales et Larry Sanger, qui a véritablement popularisé le format.
6 Une étude de Nature en 2012 a révélé que la précision des articles sur Wikipédia était comparable à celle de l’Encyclopaedia Britannica.
7 Wikiversity est un projet de la Fondation Wikimedia qui propose des ressources éducatives ouvertes et des cours collaboratifs.
8 Le mouvement #MeToo a pris de l’ampleur sur Twitter, illustrant comment les réseaux sociaux peuvent catalyser des mouvements sociaux.
9 Le projet Humans of New York, lancé par Brandon Stanton, utilise Facebook pour partager des histoires personnelles, renforçant les liens communautaires.
10 Les événements de Paris en 2015 ont montré le rôle crucial de Twitter dans la diffusion d’informations en temps réel et dans la couverture médiatique.
Références
– Barger, J. (1997). Robot Wisdom : Le blog qui a tout commencé. Site historique.
– WordPress.org. Statistiques sur l’utilisation de WordPress. Site officiel.
– Drummond, R. The Pioneer Woman : De la vie à la ferme aux livres de cuisine. HarperCollins, 2011.
– Wikipédia. Wikipédia : Une histoire. Article sur l’historique de Wikipédia.
– Lih, A. (2011). Wiki Gouvernement : Comment les gouvernements locaux utilisent les wikis pour mieux engager les citoyens. Revue de l’E-Gouvernement.
– Parker, C. (2012). Wikipédia : Un nouveau modèle pour la création collaborative de connaissances. Revue internationale de gestion de l’information.
– Koller, D. (2017). L’impact des réseaux sociaux sur la consommation de l’information. Études en journalisme.
– Twitter Inc. À propos de Twitter. Site officiel.
– Facebook Inc. Statistiques. Site officiel.