Le Halftime Show : de 1967 à aujourd’hui
Par Noémie Di Natale
Illustration ©valartyn
Publié le 30 mars 2024
Avec des sponsors comme Pepsi et Apple TV, ses 123 millions de téléspectateur·ices en 2023 et les 7 millions de dollars que les annonceur·euses dépensent pour 30 secondes de publicité, le spectacle de la mi-temps du Super Bowl est, depuis sa création en 1967, un événement ancré dans la culture américaine. Cependant, ce phénomène n’a pas toujours été celui que l’on connait aujourd’hui.
Le Super Bowl est une compétition de football américain. À l’origine, elle faisait s’affronter les meilleures équipes de la NFL (National Football League) et de la AFL (American Football League). Puis, en 1970, les deux ligues se sont fusionnées en une seule, la NFL. Un match de football américain se décompose en quatre quart temps de quinze minutes chacun. Une pause de vingt minutes a lieu entre la deuxième et la troisième mi-temps et c’est lors de la finale qu’a lieu le halftime show.
1967-1992 : un show différent d’aujourd’hui
De 1967 à 1992, cette pause dans le match devait simplement être meublée pour permettre aux spectateur·ices de boire une bière (l’une des boissons les plus consommées lors de ces soirées) et aux téléspectateur·ices de rester devant leur télévision. En effet, il est important que l’attention des téléspectateur·ices soit maintenue durant cette mi-temps car, étant un événement très regardé, c’est une occasion pour les publicitaires de faire leurs annonces. La demande étant très forte, en 1967, 30 secondes de publicités coûtaient déjà 30 000 dollars, (un chiffre qui s’élève aujourd’hui à 7 millions de dollars) ; il était donc important que les 24,4 millions téléspectateur·ices (selon Nielsen) de ce premier Super Bowl les regardent. L’une des publicités emblématiques est celle d’Apple diffusé en 1984, (durant le Super Bowl XVIII) et réalisée par Ridley Scott pour parler de leurs nouveaux ordinateurs. Puis, ces publicités se sont faîtes avec des stars internationales, comme Pepsi en 2004 qui avait fait appel à Beyoncé, Britney Spears et Pink.
Durant le premier Super Bowl et jusqu’en 1991, les spectacles organisés lors de cette mi-temps ne ressemblaient pas du tout à ceux que nous connaissons aujourd’hui. Des fanfares universitaires ou des jeunes sportif·ves, danseur·euses et musicien·nes faisaient leurs représentations sans que cela ne soit transcendant ou ne marque les esprits. Cependant, durant le Super Bowl XXV, pour les 25 ans de la compétition, la NFL reçut pour la première fois de la musique pop avec le boys band New kids on the block. Ce dernier joua à la mi-temps sur un thème Disney se nommant : « A small world salute to 25 years of the Super Bowl ». Cette performance fut une prémisse à ce qui arriva quelques années plus tard.
Le journaliste Arthur Genre, spécialiste des États-Unis, explique sur YouTube : « La cible c’est pas seulement le fan de foot, mais c’est aussi la famille et les ami·es qui veulent passer un bon moment à manger et à boire devant un événement télévisé devenu légendaire. C’est juste un événement convivial qui a réussi à devenir une tradition américaine. »
Le moment de bascule en 1992
Durant ces années, tout le monde se contentait de ces mi-temps, mais elles restaient quand même oubliables. Ce n’est qu’en 1992 que le déclic eu lieu, suite à Jim Carrey et son émission In Living Color. Durant cette dernière, l’humoriste, entouré de Jamie Foxx et Tommy Davidson, parodie le SuperBowl. Ce sketch est diffusé sur la chaîne FOX, concurrente de l’ABC, chaîne sur laquelle le Super Bowl est retransmis. In Living Color est retransmis au même moment que la mi-temps du Super Bowl car Jim Carrey a conscience que les fanfares n’intéressent pas réellement les téléspectateur·ices, et l’humoriste est durant ces années-là très populaire aux États-Unis.
Ce dernier garantit également aux Américain·es qu’iels ne louperont pas la reprise du match, grâce à un compte à rebours placé en bas de l’écran, indiquant le temps restant avant la reprise du match et ainsi, le moment où les téléspectateur·ices pourront rebasculer sur l’ABC. Selon la NFL, sur les 91 millions de personnes regardant la finale de la NFL, 20 millions d’entre elles ont basculé sur la FOX durant la mi-temps. Ce chiffre est un échec pour l’ABC, car ces personnes n’ont donc pas regardé les publicités diffusées à ce moment-là, alors qu’elles coûtent des milliers aux publicitaires. Après cette défaite, la NFL décide qu’un tel résultat ne doit plus jamais arriver, ce qui se mettra en œuvre dès 1993.
1993 à aujourd’hui : un événement incontournable
Après cet épisode de 1992, la NFL décide de faire en sorte que chaque Halftime Show soit unique et mémorable, pour que les téléspectateur·ices restent devant leur télévision. Cela commence dès 1993 avec Michael Jackson, pour enchaîner jusqu’à aujourd’hui, malgré quelques polémiques.
Pour relancer les audiences de la mi-temps, la NFL décide de changer totalement de vision pour les prochains Super Bowls. Le halftime show doit maintenant être un événement à part, rassemblant tous les Américain·es. Pour cela, l’artiste invité lors de ce quart d’heure doit être intergénérationnel et apprécié de tous·tes. C’est naturellement que la NFL pense au roi de la pop : Michael Jackson. Le chanteur accepte en ayant tout de même une condition : recevoir un cachet d’un million de dollars. La NFL refuse cette demande car elle paye les coûts de production de ces 15 minutes et a, pour tradition, de ne jamais payer les performeur·euses, peu importe qui iels sont. La firme donne tout de même 100 000 dollars à l’association créée par Michael Jackson, « Heal the world ». Durant 15 minutes, dont 2 minutes où le roi de la pop reste statique face à cette foule euphorique, un medley de ses plus grands titres est joué, notamment Billy Jean, Black or white et Heal the world. Le tout diffusé dans 100 pays différents et suivi aux États-Unis par 90 millions de personnes, selon la vidéo YouTube de The Detail. Ce concert, grâce à sa mise en scène hors norme, comme ses nombreux effets techniques et feux d’artifice, marque à jamais l’histoire du Super Bowl. Cette mi-temps était très importante pour le chanteur, comme l’explique Jennifer Batten, son ancienne guitariste : « C’était beaucoup de pression. Si quelque chose s’était mal passé, ça serait resté à vie ». Après cette réussite, la NFL a un défi à tenir : que tous les prochains Halftime Shows soient à la hauteur de celui de 1993.
Ce défi sera la plupart du temps relevé, notamment en 1996 avec le show de Diana Ross. Cette femme, connue pour avoir régné sur la soul pendant 30 ans et découvert les Jackson 5 (groupe dans lequel Michael Jackson a fait ses débuts), a marqué cette mi-temps en quittant la scène à l’aide d’un hélicoptère venu la chercher en plein milieu du Sun Devil Stadium en Arizona.
Une mi-temps particulière a eu lieu en 2002, celle-ci arrivant près de six mois après les attentats du 11 septembre 2001. Durant cette période, U2 joue notamment durant trois soirs de suite au Madison Square Garden en octobre 2001. John Collins, qui est en charge de la programmation du Super Bowl, assiste à l’un d’eux et remarque que le groupe projette sur un écran géant le nom des 3000 victimes des attentats. Il a alors l’idée d’inviter U2 au Halftime Show. C’est ainsi qu’en plus d’une scène en forme de cœur, les noms des victimes du 11 septembre sont projetés lors de cette mi-temps. Beaucoup d’Américain·es considèrent ce Halftime Show comme étant le meilleur de tous.
L’année 2004 a également marqué les esprits mais pour une toute autre raison. Durant cette finale, Justin Timberlake et Janet Jackson ont assuré le show jusqu’à l’avant-dernière seconde de ces 15 minutes, où le chanteur dévoile le sein de la sœur de Michael Jackson ; le Nipplegate est né. Bien que cette séquence ne dure qu’une seconde, elle a un impact monumental : 500 000 plaintes sont déposées à l’AFCC (l’équivalent de l’Arcom) et Janet Jackson présente des excuses publiques sur la CBS (la chaîne ayant diffusée le match). Alain Mattei, fondateur du média TouchDown nous explique : « Il y a eu toute une période où la NFL a eu très très peur, ils invitaient des artistes plus âgés, des vieux rockeurs (ex : Paul McCartney et les Rolling Stones), pour s’assurer qu’il n’y ait plus de débordements. Il a fallu quasiment une dizaine d’années pour qu’ils se sortent de ce stress-là ; qu’ils reviennent à des choses plus pop et plus actuelles. » La prestation de Prince, qui s’est jouée sous la pluie en 2007, est tout de même mémorable, surtout la dernière chanson, Purple Rain, durant laquelle le chanteur se place derrière un drap blanc tendu dans les airs, projetant son ombre sur plusieurs mètres de haut.
Hormis les problèmes techniques en 2011 pour les Black Eyed Peas (l’autotune de Will.I.Am ne sonne pas bien et le micro de Fergie projette mal sa voix), de 2013 à aujourd’hui, les artistes se produisant lors de ces finales, de Beyoncé à Usher, en passant par Katty Perry, Coldplay ou encore Lady Gaga, font l’unanimité. En 2019, le groupe Maroon 5 est tout de même jugé décevant. Il n’y a pas de danseur·euses, les transitions sont trop longues, Adam Levine semble gêné et il n’y a pas de connexions entre ce dernier et Travis Scott, le rappeur invité. En résumé, ce show n’est pas digne d’un Halftime Show. En effet, il pourrait avoir lieu dans n’importe quelle autre salle de concert. Néanmoins, cela n’enlève pas la popularité de cet événement qui continue de fasciner le monde, plus de 60 ans après ses débuts.