La voie de la répression est-elle vraiment la panacée pour lutter contre le narcotrafic ?
Par Clara Pégard
Photo ©Pexels, MART PRODUCTION
Publié le 26 novembre 2024
En matière de drogues, près de 80 nouvelles substances par an font leur entrée sur le marché. Ce constat, dressé par l’ONUDC, est alarmant et découragerait plus d’un individu d’essayer de contrer ce fléau. Pourtant, les problématiques liées aux produits stupéfiants sont multiples et tous les États ont un intérêt à s’atteler à la recherche de solutions. Entre répression et dépénalisation, leur cœur balance…
Effectivement, on serait tenté·e d’affirmer que la consommation et donc la production de drogues n’étaient qu’un effet de mode des années 1970. En témoignerait la promotion de la « sister morphine » (pour ne reprendre que le titre de la chanson emblématique des Rolling Stones, dans les pays anglo-saxons par exemple) ou encore des addictions des Américain·es qui auraient été initiées lors de la découverte de ces produits durant la guerre du Vietnam. Cependant, il n’en est rien puisque la consommation de drogues ne fait que croître inlassablement, qui plus est avec l’apparition de drogues de synthèse capables de métamorphoser des quartiers : ceux de Kensington (Philadelphie) ou de Tenderloin (San Francisco) n’ont par exemple pas été épargnés, le premier par la xylazine et le second par le fentanyl. Sans compter toutes les autres sortes de stupéfiants, revêtant l’apparence de friandises pour séduire des publics toujours plus jeunes, à l’instar des « Party Lollipops » fabriquées grâce à la kétamine.
L’objectif, quoique modeste de cet article, est de proposer des clés de compréhension sans orienter dans un sens ou dans l’autre le débat. Les idées avancées ne sont pas exhaustives et d’autres arguments seraient tout autant légitimes à être allégués.
Dites Non-Non à la drogue
La voie d’action la plus souvent privilégiée par les États reste la répression, bien que le degré varie au même titre que les formes choisies. Or, cette dernière dépasse bien souvent les sanctions élémentaires, et peut connaître des dérives. C’est ce qui peut être observé au Salvador, pays dans lequel le président Nayib Bukele fait régner la terreur en recourant à ce qui est usuellement appelé en Amérique Latine, la « mano dura ». D’un côté, la population qui subit moins les exactions des gangs locaux se sent soulagée et l’a porté à la présidence, en le réélisant en début d’année. De l’autre, le tribut allégé en matière de crimes, dont le nombre a été divisé par quarante, est contrebalancé par de nombreux emprisonnements arbitraires parmi les 75 000 individus arrêté·es, et par des conditions de détention déplorables. Une solution mitigée donc, qui rejoint celles adoptées par le Mexique et l’Équateur. Ces derniers, en dépit de leur recours à l’armée pour anéantir le narcotrafic, ne semblent pas avoir encore sorti la tête de l’eau.
En parallèle, d’autres méthodes radicales en termes de répression ont été observées en Afghanistan, où les Talibans multiplient les arrestations, tant de producteur·ices dont les champs sont ensuite ravagés que de consommateur·ices d’héroïne et d’opium qui sont ensuite interné·es dans des centres afin de débuter une cure de désintoxication.
Cependant, dans ces états gangrénés par la paupérisation, les arrestations massives et le recours à la torture ne remédient pas aux raisons qui incitent la plupart des producteur·ices à diffuser massivement ces les substances. Comme le rappelle la Coordination nationale des cultivateur·ices de coca, de pavot et de marijuana en Colombie, la culture de ces plantes incriminées est fréquemment la seule solution pour joindre les deux bouts. Ainsi, la répression, quelle que soit son niveau de violence, semble sans issue.
Oui vas-y Oui-Weed
Face à l’échec présumé des politiques répressives, et ce davantage si elles sont incisives, quelques pays se tournent vers la dépénalisation complète de ces substances stupéfiantes. En Europe, on compte notamment Malte, les Pays-Bas, et plus récemment l’Allemagne. Néanmoins, les inquiétudes sont encore très vives au regard des risques sanitaires et sociaux que cela engendrerait, et elles sont motivées. Est notamment évoquée la pression de groupes mafieux, y compris étrangers, qui infiltreraient de ce fait plus aisément le pays. C’est notamment le cas des représailles menées en Europe par le groupe d’origine marocaine Mocro Maffia, provoquant des règlements de compte sanglants dans les rues sous les yeux des passant·es médusé·es.
En outre, les enjeux sont aussi sanitaires car la libéralisation des drogues pourrait encourager toujours plus la consommation, alors que cette dernière est à l’origine de pathologies malignes. De cette manière, l’Afrique du Sud qui est un pays souffrant d’un fort taux de personnes contaminées par le VIH, est aussi à l’origine d’une légalisation intégrale des drogues. Ainsi, l’héroïne particulièrement prisée et s’injectant par voie intraveineuse, souvent au moyen de seringues usagées, n’est pas bénéfique au regard de cet aspect sanitaire évoqué précédemment, car il existe un lien de causalité. Cependant, l’Uruguay qui a légalisé l’usage et la production de drogues, ne comptabilise pas plus de déviances ou de problématiques sanitaires. Or, si ce petit pays du Cône Sud a réussi sa transition, ce peut être favorisé par ses caractéristiques qui en font un pays apaisé et moins sujet à des inégalités criantes.
Le cas de la France
Attachons-nous enfin à la situation de la France, qui malgré la loi du 31 décembre 1970, prohibant l’usage de drogues, est toujours le premier pays de l’Union Européenne en termes de consommation de cannabis selon l’étude menée par l’European Monitoring Centre for drugs and drug addiction en 2023. Certain·es sociologues comme Marie Jauffret-Roustide, préconisent alors une solution intermédiaire. En effet, si les stupéfiants sont dépénalisés, alors il faudrait instaurer un cadre strict de régulation et proposer de nombreuses politiques de santé publique.
Cette dernière idée semble rejoindre l’initiative de « salles de consommation à moindre risque », présentes véritablement depuis 2013 dans plusieurs villes de France. Quant à l’encadrement, imposer des quotas, par exemple à l’égard des plants cultivés à domicile, comme ce qu’a instauré notre voisin allemand, pourrait s’avérer pertinent.
Sources
Courrier International, « Cannabis. L’Uruguay, un test continental » (11 décembre 2013, mis à jour le 2 juin 2022).
Haut Conseil de la santé publique. « La légalisation des drogues : une fausse bonne idée ».
France Bleu, « Faut-il légaliser le cannabis en France ? » (26 avril 2024).
France Culture, « Bilan de cinquante années d’application de la loi de 1970 sur la prohibition des drogues en France ».
Les Échos, « Salvador : réélection triomphale du président qui a liquidé la criminalité » (5 février 2024).
Le Point, « En Colombie, la spirale sans fin de l’éradication de coca » (11 avril 2017).
Ramsès, « 2025 : Entre puissance et impuissance » – sous la direction de Thierry de Montbrial et Dominique David.
Courrier International Hors-Série, « Atlas des drogues » (août-septembre 2024) – articles tirés d’El Pais ou du Courrier International.