La relation entre multinationales et États : une rivalité à la David et Goliath ou une complicité à l’image de Bonnie and Clyde ?

Par Clara Pégard
Photo ©Ketut Subiyanto / Pexels (pimpée par L’Ouvreuse sur Canva)
Publié le 13 juin 2025
Et si le bras de fer entre les différents pays du monde, était remplacé par une concurrence entre entreprise et État? Notre siècle semble connaître un déplacement de conflit avec la montée en puissance des multinationales. Ayant à cœur leurs propres intérêts, leurs décisions et coups de pression peuvent impacter la politique d’un pays tout entier. Mais leur collaboration avec ces mêmes États, n’est-elle pas plus à craindre ?
Si les États ont longtemps régné en maîtres, du fait de la souveraineté, qui les caractérisait, et ce, depuis les travaux de Jean Bodin au XVIe siècle, celle-ci semble compromise au regard de la prégnance des firmes. Ces dernières, qui se sont concentrées un temps dans les pays industrialisés, se sont ensuite étendues au reste du monde depuis les années 1970. Leur poids économique important et les lobbies afférents, leur accordent une assise non-négligeable, et favorise la prise en compte de leurs requêtes par les États. À titre d’exemple, Il est parfois possible de comparer le PIB de ces derniers avec les revenus des firmes : le CNUCED a ainsi rapproché les revenus de Ford du PIB norvégien en 2002. La confrontation entre ces deux acteurs semble dès lors inévitable.
Or, cette confrontation se manifeste sous la forme d’une concurrence avide entre les deux acteurs. Pourtant, les années 1990, marquées par les prémices d’Internet, ne laissaient guère présager que les entreprises, ayant germé dans ce domaine, deviendraient rapidement les « géants du net » et qu’elles menaceraient les États.
Or, cela s’est traduit par une ingérence de ces firmes numériques dans de nombreux domaines : le traitement de données et la cybersécurité, l’intelligence artificielle et même des secteurs plus concrets comme celui de la construction avec le projet avorté de Smart City de Google. De la sorte, la souveraineté des États s’en voit entravée, d’autant plus que ces interventions massives des firmes se soldent par des débordements à l’égard de la vie privée ou de la concurrence, qu’il reste possible de sanctionner, mais pas de réguler.
Cette concurrence ayant atteint un degré tel, incorpore désormais un pouvoir de nuisance de la part des firmes. C’est pourquoi, ces firmes ont parfois pu tirer bénéfice d’un contexte d’État failli ou en crise pour soutenir des activités illégales ou déstabilisatrices. À titre d’exemple, l’affaire mettant en cause Dole Food Company, Inc rappelle la responsabilité de cette firme, spécialisée dans la production de fruits et légumes, dans des opérations d’escadrons de la mort menées par des groupes paramilitaires en Colombie. Dans un contexte voisin, l’immixtion des firmes est fréquente dans des pays manquant de stabilité, afin de se hisser aux côtés des figures du pouvoir. Ce cas d’espèce s’observe dans les Républiques Bananières d’Amérique du Sud par exemple.
Enfin, les lobbies disposent aussi d’un pouvoir de nuisance, puisqu’ils interfèrent dans des sphères controversées telles que l’agriculture à l’échelle industrielle, l’environnement, ou encore les armes à feu, en vue de défendre leurs intérêts. Cette relation a priori teintée de rivalité est celle la plus fréquemment retenue ; mais il ne faudrait pas oublier qu’États et firmes savent aussi mettre de côté leurs tensions en vue d’atteindre plusieurs objectifs, qui pour certains sont discutables…
Effectivement, s’il est essentiel que leurs rapports se pacifient, c’est en vue qu’ils tirent indirectement profit des interventions de l’autre. Les firmes représentent une opportunité pour les États desquels elles sont originaires (souvent développés), puisqu’elles génèrent des recettes fiscales et permettent de jouer sur les avantages comparatifs (cf. l’économiste classique Ricardo). En parallèle, les États d’accueil, pour la plupart en développement, bénéficient d’une forte croissance et de la création d’emplois grâce aux Investissements directs à l’étranger. Cela n’occulte cependant pas les risques de désindustrialisation pour les premiers, ou encore de surexploitation des ressources et de mauvais traitement des travailleurs pour les seconds. En ce sens, l’Affaire du Rana Plaza au Bangladesh avait connu un certain retentissement en 2013.
En vue d’attirer les firmes, les États assouplissent leurs réglementations et espèrent être bien notés par l’indice Coface. Toutefois, les multinationales ne disposent pas toujours d’une marge de manœuvre et dépendent aussi des États pour développer leur activité. Elles s’orientent selon les traités bilatéraux d’investissement signés ou encore les sanctions décentralisées.
Finalement, un dernier volet ne devrait être occulté : firmes et États peuvent marcher main dans la main, dans le cadre d’opérations criminelles à l’instar des États-Unis et de Monsanto durant la Guerre du Vietnam. L’agent orange produit par cette dernière avait été déversé massivement sur les espaces boisés du pays ; les molécules -toujours présentes dans l’air, ont engendré de nombreuses pathologies et malformations chez les Hommes, mais aussi un véritable écocide …