Féminisme blanc et intersectionnalité

Par Margot Drouillet
Illustration : Lorie Flaubert, @lorieandart (Instagram)
Publié le 1er novembre 2021

Il est indéniable que le féminisme n’est pas un mouvement uniforme et sans conflit intérieur. On peut se questionner sur le féminisme blanc, un féminisme qui ne porte que la voix des femmes blanches. Peut-on considérer que ce féminisme est un féminisme qui aboutirait à une égalité entre les genres, tout en occultant les femmes de couleur ?

Audre Lorde, une poétesse afro-américaine disait : « There is no thing as a single-issue struggle because we do not live single-issue lives » ( « Il n’existe pas de lutte pour un seul problème, car nous ne vivons pas des vies avec un seul problème » ). Notre identité propre fait que nous sommes sujet·tes à plusieurs discriminations, une femme cisgenre blanche et hétérosexuelle est sujette au sexisme. Mais, une femme lesbienne, afro-américaine et musulmane est sujette à des discriminations de genre, des discriminations raciales, des discriminations religieuses et des discriminations par rapport à son orientation sexuelle. On appelle féminisme blanc le féminisme qui ne prend en compte que l’inégalité des genres, c’est une idéologie qui prétend parler au nom de toutes les femmes, alors qu’elle ignore les revendications des femmes qui subissent d’autres formes de discriminations. Seulement l’aspect sexiste est pris en compte par le féminisme blanc, ce qui ne permet pas une lecture complète des inégalités de genre.

Des revendications occultées par le féminisme blanc

Défendre un féminisme blanc, c’est ignorer la multiplicité de discriminations qui sont nées d’une intersection entre plusieurs sources de discriminations, le genre et la couleur de peau par exemple. En adoptant un point de vue où l’on voit l’inégalité des genres comme séparée des autres discriminations, on occulte forcément des revendications spécifiques à certaines catégories de femmes.

Il n’existe pas de lutte pour un seul problème, car nous ne vivons pas des vies avec un seul problème

Audre Lorde

Le féminisme blanc ne porte qu’une voix qui est celle des femmes blanches, en estimant que leurs revendications sont universelles à toutes les femmes. Pourtant, c’est loin d’être le cas. Par exemple, la deuxième vague féministe aux États-Unis, débutant dans les années 1960 et s’étendant jusqu’à la fin des années 1980, se focalisant notamment sur la place de la femme dans la famille, les violences faites aux femmes et la libération sexuelle de la femme ; demandait le droit pour les femmes de travailler en dehors de chez elle, en ignorant que pour les femmes noires et d’Amérique latine, c’était une norme de travailler en dehors du domicile et cela depuis des siècles. Toutes les femmes ont toujours travaillé, mais leur travail n’est pas vu par la société de la même façon. La norme, du moins ce qui était considéré comme le meilleur pour les femmes blanches, par rapport aux standards de la société, était d’être femme au foyer. En revanche, pour les femmes non blanches, la norme était de travailler hors du foyer. Cette revendication est légitime, mais le fait de prétendre qu’elle est la voix unique de toutes les femmes ne l’est pas, car certaines femmes ne sont pas concernées par cette revendication du fait leur identité multiple, c’est-à-dire du fait de plusieurs parties de leur identité, sujettes à discriminations.

Le féminisme blanc ce n’est pas juste prétendre porter la voix de toutes les femmes, c’est aussi ignorer les revendications spécifiques à certaines catégories de femmes. Par exemple, on ne parle pas dans ces mouvements de la mortalité maternelle qui est trois fois plus élevée aux États-Unis pour les femmes noires [1]. On peut se demander pourtant pourquoi les femmes blanches meurent moins en donnant naissance ? Quelle est l’importance de prendre ceci en compte, pour lutter contre les inégalités de genre ? Il est presque certain que cela est dû à des discriminations qui touchent uniquement les femmes noires. On ne peut pas ignorer ces revendications si l’on veut aboutir à une égalité des genres. En effet, même si l’on supprime le facteur sexiste, ces revendications persistent, car elles ne sont pas séparées des autres discriminations ; elles en sont un mélange.

L’intersectionnalité est un concept qui admet la pluralité des discriminations et le fait que ces discriminations se croisent et interagissent

De plus, il existe parfois une dualité, due à une identité multiple, à laquelle font face certaines femmes. Un exemple qui illustre très bien cela fut le débat à propos de qui, des femmes ou des Afro-Américains, allaient les premier·es obtenir le droit de vote après la Guerre de Sécession aux États-Unis. Même si les femmes Afro-Américaines étaient doublement concernées par ce débat, elles ne pouvaient pas y participer car dans tous les cas, elles en sortiraient perdantes. En effet, même si les femmes obtenaient le droit de vote, elles n’auraient de toute façon pas pu voter en raison de leur identité afro-américaine. Si les Afro-Américains obtenaient le droit de vote, elles n’auraient pas pu voter car elles étaient des femmes. Finalement, ce sont les Afro-
Américains qui ont, théoriquement, obtenu le droit de vote avec le XVe amendement de la Constitution américaine. Si les femmes avaient obtenu le droit de vote à cette époque, toutes les femmes n’auraient pas été capables de voter, ce qui, à mon sens, ne représente pas une égalité entre les genres. En effet, toutes les femmes n’auraient pas été les égales de tous les hommes.

L’importance de l’intersectionnalité

L’intersectionnalité est, à mon avis, un facteur important à prendre en compte pour lutter efficacement contre les inégalités de genres, afin de ne pas occulter, sans le vouloir, une partie des femmes. C’est pour cela également que le féminisme blanc débouche inévitablement sur l’occultation des revendications de certaines femmes. Il n’intègre pas l’intersectionnalité, mais seulement un point de vue unique, où le sexisme serait le seul facteur à prendre en compte pour expliquer les inégalités femmes-hommes.

L’intersectionnalité est un concept qui admet la pluralité des discriminations et le fait que ces discriminations se croisent et interagissent. Elles ne sont pas isolées les unes des autres. Ce concept a été théorisé en 1989 par Kimberlé Creenshaw, une juriste et professeure de droit à la UCLA School of Law et à la Columbia Law School. Mais, même avant cela, un féminisme intersectionnel existait déjà, notamment avec l’émergence, dès les années 1980, du black feminism, pour lutter contre les discriminations que subissent les femmes noires et leur marginalisation dans les mouvements féministes « traditionnels ». Avec ce féminisme, on part de l’expérience de la femme noire pour décrire la réalité, et non plus de la réalité de la femme blanche, en prétendant que cette vision s’applique à tout le monde.

Ce n’est pas parce que l’on inclut un nouvel aspect au sein des mouvements féministes que cela rend les autres revendications moins légitimes. Ce n’est pas en incluant, par exemple, les discriminations dues à la couleur de peau, que les mouvements féministes vont devenir des mouvements, ayant pour but unique, de lutter contre le racisme. C’est lutter contre le racisme pour lutter contre les inégalités de genre, car c’est inévitablement lié. L’inclusion est un aspect important pour comprendre, dans sa globalité, les discriminations de genre, y compris celles qui sont dues à une intersection de discriminations.

Pour arriver à une égalité entre les genres, il faut que toutes les femmes soient égales, qu’elles aient les mêmes droits. Il est tout aussi important de lutter contre les inégalités entre les femmes, qu’il l’est de lutter contre le sexisme. Sans égalité entre toutes les femmes, il n’est pas possible de lutter efficacement contre le sexisme sans qu’il persiste, d’une manière où d’une autre, des inégalités entre les femmes et les hommes.

[1] https://www.france24.com/fr/20191214-les-femmes-noires-premi%C3%A8res-victimes-de-la-mortalit%C3%A9-
maternelle-aux-%C3%A9tats-unis

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