« Et la nuit passe »

Par Lara Ulusoy
Publié le 3 octobre 2023
Photo ©Mina Miedema


Entre rêve et cauchemar, fête et repos, l’exposition « Et la nuit passe » des étudiant·es du centre Saint Charles (École des arts de la Sorbonne) nous mène dans un voyage enchanteur autant qu’effrayant, avec leur exposition située à la Galerie Echomusée. Avec une soirée de vernissage le 29 septembre, l’exposition est présentée jusqu’au 4 octobre, ouverte au public tous les jours de 14h à 19h.

Une idée néée lors d’une soirée entre trois ami·es, Sarah, Amazir et Agham ; on est transporté·es aux heures où le sombre nous emmène loin, avec des figures aussi hantées qu’enchantées. On explore davantage ce que la nuit nous évoque et ce qu’elle symbolise pour nous, avec des installations, des peintures, des œuvres vidéographiques destinées à nous transporter dans la nuit, dans nos rêves et dans nos peurs.

Les monstres

On retrouve dans une première partie des monstres, des êtres qui nous effraient et qui cherchent à nous faire peur, sublimés en caractères sympathiques et abordables dans les œuvres de Amazir et Agham. « Fuan est un monstre qui naît la nuit » nous explique Amazir, un des artistes-commissaires qui a contribué à la préparation de l’exposition. Il approfondit en disant, « Fuan – est un être – qui symbolise l’angoisse et les sentiments négatifs, sublimés en caractère sympathique ». On a alors des visuels oniriques, des personnes qu’on va voir le soir. « ‘Et la nuit passe’, évoque pour moi ce qui peut se passer le soir, que ce soit positif et négatif. Je l’ai interprété comme une expérience créative ».

Vue de l’exposition @Mina Miedema

Tout comme Amazir, Agham, aussi connu sous le nom Dirt666, nous explique alors un des autres monstres qu’on peut voir et qui s’appelle Cannibal. On est transporté dans son monde. « J’ai plusieurs personnages qui gravitent les uns avec les autres, j’ai majoritairement Cannibal et Void, où on peut les voir communiquer avec les perles accrochées au tableau. J’aime bien traiter de la douceur dans mes œuvres les plus gores, les plus hardcores. » Et comme il l’évoque, on retrouve cette tension dans son œuvre.

Dirt666 devant son oeuvre
S’il te plait mon amour @Mina Miedema

La violence

Dans la progression dans l’espace, on se confronte dans la deuxième salle au monde ultra violent de Magzu. Elle s’interroge sur la façon dont l’art impacte l’inconscient collectif et procure ce sentiment d’ultra violence à travers certaines couleurs, symboles, signes, certaines matières et certains mouvements. C’est la première exposition de Magzu, qui nous présente deux œuvres, et évoque un troisième monstre, qui nous est inconnu. On joue sur les codes académiques du corps avec L’étude anatomique du monstre sous mon lit, reprenant ce fantasme d’enfance d’avoir ce monstre malsain sous notre lit. On évoque généralement toute la partie de la nuit, on ne cherche pas à condenser ce que la nuit nous représente, on a une implosion sur la surface de la toile et une diffusion sur l’espace de l’exposition, qui appelle le·a spectateur·ice. Dans le travail de Magzu, la couleur noire prime sur l’espace de l’installation. « On relie la couleur noire à la nuit, mais le noir est aussi une couleur sociale, qu’on peut associer au triste. »

Magzu devant son œuvre L’étude anatomique du monstre sous mon lit @Mina Miedema

C’est plus dans son installation de fils et de branches dégoulinantes qu’on arrive à voir ce travail chaotique. « Ce que j’aime le plus c’est le côté liquide dans l’oeuvre, qui rappelle une chose goudronneuse, bizarre, et qui pourrit l’œuvre, donnant ce côté sombre ». On oblige aussi la contemplation au spectateur·ice avec un jeu de distance et de rapprochement. « Le plus on s’approche, le plus on a des détails, et le plus on s’éloigne, le plus ça devient une tâche noire au coin de la salle. »

Nyx

On a aussi l’œuvre Nyxazépam de 34404 AoA, construite à partir de la déesse primordiale Nyx. « Aujourd’hui la nuit est un espace-temps, je réfléchissais à comment cet espace-temps se gère, et on retrouve deux pôles: ceux·lles qui veulent dormir la nuit et ceux·lles qui ne veulent pas dormir, qui peuvent tous les deux être symbolisés par les pilules. » On se confronte donc à ce voile posé sur elle, les bras en avant, avec une traînée de pilules, comme des reliques de son chemin. Il y a toute une présentation de pharmacie à côté, où on a des fioles remplies d’essences de Nyx liquides, ainsi que d’autres fioles contenant, elles, des pilules dites « concentrées », comme écrit sur le flacon. On a alors une confrontation directe avec cette figure creuse, qui existe qu’à travers cette voile posée sur elle.

Nyxazépam de 34404 AoA @Mina Miedema

Avec ces artistes, on est davantage dans la confrontation aux peurs, à l’effroi, aux dangers que la nuit et le noir nous amènent. On retrouve cette partie très confrontationnelle avec la nuit.

Le rêve

D’autre part, confronté à cette violence et à ces monstres, on traite ce côté onirique de la nuit et esthétique dans les œuvres de Makita, Spicka et de Uziii (Youjee). Makita nous évoque son monde onirique, ses dessins et peintures qui viennent surtout composer un monde de fées, couleurs pastels et de douceur. Youjee, une artiste coréenne, traite aussi un autre univers, différent et particulier du monde qu’on habite. Avec une palette de couleurs pastels inhabituelles et un ensemble d’éléments fantastiques, Youjee nous transporte directement dans un monde des rêves. Elle crée un monde onirique où les émotions de la vie quotidienne se mêlent à des couleurs variées.

Makita Weider @Mina Miedema
Uziiie devant la galerie @Mina Miedema

En parallèle, on retrouve le travail de Spicka, qui fait de l’illustration et de l’art contemporain sur du carton et du papier. Ce qu’elle fait est plutôt une expression d’elle-même et de ce qu’elle aime. Avec des couleurs vives dans les œuvres de Spicka, on est surtout rempli de nostalgie, de retour à l’enfance. « Même si ce n’est pas implicite, il y a beaucoup de mon art qui passe dans le fait d’être un enfant, d’être toujours en train de rêver. » nous explique Spicka.

La nuit, avec qui ?

Ce qui se passe la nuit, reste dans la nuit, mais ce dont la plupart des artistes de cette exposition se demande est avec qui on passe nos nuits. Est-ce qu’on passe nos nuits dehors, à faire la fête avec des inconnus rencontrés ? Ou est-ce qu’on les passe dans notre lit, à rêvasser ?

On observe d’abord la partie intime de la nuit, la partie qu’on partage rarement avec notre entourage, et qu’on préserve souvent à nous-même.

Guiliane Christien devant son oeuvre Nuit ©Mina Miedema

Cette intimité prime davantage dans le travail de Guiliane Christien, qui à travers son œuvre vidéographique nous confronte à son moi profond, à ce que la nuit fait ressortir en nous. « Je travaille surtout sur l’intimité et l’amour, je lis parfaitement ceci à la nuit. […] Avec le projet “Nuit”, on retrouve deux parties, les poèmes et la vidéo. Personnellement, j’ai l’impression de vivre la nuit et de mourir le jour. Je vis toutes mes inspirations, mes amours et mes pensées. C’est là où je ressens tout, c’est là où je suis moi. » On va parler de sujets où on évoque rarement en conversation. Avec ce thème, on peut traiter des sujets intimes, personnels, touchants. « La nuit nous permet de traiter un sentiment duel, où on retrouve de cette douceur dans un espace qui est très peu serein. D’un côté, on a des choses très légères et de l’autre, on a cette intensité sombre. » nous explique Magzu.

Puis, la douceur de la nuit intime nous caresse avec la performance de Jeannnh. Iel nous emporte dans ses rêves, dans son discours interne, dans ses pensées intimes, rappelant l’enfance de manière nostalgique. On le rejoint dans son sommeil, dans son moment de repos. Habillé·e de pyjamas, on se confronte directement à le·a performeur·euse, qui dans son ignorance du·de la spectateur·ice nous attire du regard. On ne peut s’empêcher d’écouter le discours poétique, qui habille les murs de l’espace.  « J’essaye de faire un parallèle entre l’objet et le corps humain. Le corps est aussi géométrique et structural que la chaise qui est la sculpture à côté de moi. On rentre dans l’intime d’une personne, on entend les pensées qu’elle a avant de dormir…Les réflexions sont à l’ouïe de tous, ce dialogue interne nous permet de rentrer davantage à l’intimité. »

On évoque aussi la partie très charnelle, attirante et folâtre de la nuit. « ‘Et la nuit passe’ me rappelle les soirées bornées qu’on arrive à faire sur Paris, où on ne voit pas les heures passer. On reste dans cet entre-deux, où on cogite entre le sentiment d’être présent·e tout en étant absent·e. On passe un bon moment sans vraiment passer un bon moment, et on joue alors sur cette dualité de la soirée », raconte Magzu.

Folie nocturne

Au sein de l’exposition, surtout cette dualité entre l’intimité et la folie de la nuit va trouver sa forme avec les œuvres de Emilie Nazeraj, une étudiante de troisième année en Design. Avec deux fanzines et livres d’arts préparés pour cette exposition, elle nous présente d’abord un livret composé des images superposées intitulées Hereux sont les alcolos (faute d’orthographe intentionnelle) qui traite le sujet de la jeunesse et des fêtes à Paris. « On voit ce côté de la jeunesse de Paris, qui va faire des fêtes, plus du côté chaotique et déchainé, très dans l’alcool ».

Emilie Nazeraj à l’intérieur de la salle d’exposition ©Mina Miedema

À côté de cette œuvre, on voit un autre livret, mais qui à l’opposé de Hereux sont les alcolos nous présente quelque chose de plus doux, plus intime, où on est posé directement entre un couple illuminé par des projecteurs, et couverts de peintures. Dans Me to You, l’œuvre rejoint la nuit et cette obscurité, par cette ambiance d’intimité. « Le corps devient un outil d’expression. On a eu quelque chose d’intime et d’assez sexuel. Dans l’œuvre, j’ai le côté intime et le côté décramé. »

Puis, le collectif Edera Sole nous plonge directement dans la soirée avec une performance, où le·a spectateur·ice rejoint une soirée. « On a voulu recréer l’atmosphère de fête et des souvenirs, de jours et de public. Ce qu’on a voulu intégrer dans notre performance est le fait qu’on a des choses qui ne sont pas liées avec le quotidien et le réel mais que c’est dans ces moments où on a le plus de lâcher-prise et de cohésion entre les corps, donc de rencontre. [..] Par rapport aux autres œuvres de l’exposition qui parle plutôt de l’intimité dans la nuit, on était plus à l’opposé, avec l’idée du collectif et faire la fête, se dévoiler aux autres sans se connaître en particulier. »

Crave 4 Rave du collectif Edera Sole
©Océane Iglesias

On retrouve aussi la question des pratiques sexuelles dans l’œuvre 3615Pourpasserlanuit de 34404 AoA. Sous l’appellation « fantasmomancien » se trouve une sorte de tente de diseur de bonneaventure bleutée proposant la constitution d’un tarot parodiée. Avec un livret couleur de nuit, les spectateur·ices sont invité·es à choisir, parmi les différentes pratiques listées, les chiffres correspondant à leur/s pratique/s sexuelle/s. Une fois la suite numérique établie, iels peuvent envoyer cette suite de chiffres au mail indiqué afin d’obtenir une carte de tarot ultra personnalisée, à l’image de leur/s pratique/s (nocturnes) personnelle/s. Là où le tarot traditionnel dit prédire l’avenir, celui-ci vient illustrer le présent de la pratique actuelle de la personne et de ses nuits…

Le temps

On joue particulièrement sur la notion de la temporalité, sur ce passage de la nuit, sur ce caractère éphémère de la soirée. Amazir nous explique, « J’ai très peur de la nuit, j’ai des angoisses qui remontent mais j’ai aussi cette essence créative qui surgit. Il y a tout ce côté où tu prends une décision, la nuit passe et puis elle ne sera plus là. Tu ne dois la surmonter qu’une fois et puis tu dois faire face au jour. »

Amazir devant le lieu de l’exposition @Mina Miedema

Puis, Jeannnh reprend cette idée, « On a cette idée de cycle dans ‘Et la nuit passe’, parce qu’on ne vit quasiment que le jour, et pourtant on a toujours la nuit entre les deux. On retombe toujours dans le jour, peu importe la nuit qu’on passe, que ça soit la nuit qui vient d’être dansée par Edera Sole, pensée par moi… La nuit va toujours passer et venir, elle est une parenthèse entre deux laps de temps-jour qui sont beaucoup plus longs et beaucoup plus ressentis, qu’on vit plus souvent que la nuit. »

Dernièrement, Spicka nous parle de ce cycle nocturne, « On a ce côté de la nuit qui passe. […] On s’en est rendu·es compte après. Le moment où tout ce qui passe pendant la nuit, que ce soit les amours, les pleurs, les crises de paranoïa, finit par passer, pour le meilleur ou pour le pire. »

Jeunes talents

On peut dire d’une manière que cette exposition est le début d’une carrière artistique pour la plupart des artistes présent·es, où pour la grande majorité, c’est leur première exposition. « On s’est occupé·es de la gestion des artistes, de l’accrochage, toute la conceptualisation de l’exposition, toute la gestion de la préparation. L’organisation des oeuvres s’est faite de manière instinctive. » nous explique Amazir. Plus tard, Agham enjoint à tous·tes de se lancer dans la création d’une exposition : « Si les gens ont envie de faire des expositions, il faut juste se lancer ! C’est pas si compliqué que ça, on a fait ceci rapidement et même sereinement. Surtout, le moment où ça se concrétise, à ce moment on comprend la beauté de ce qu’on fait. »

Les artistes de l’exposition devant la Galerie Echomusée, de gauche à droite : Makita Weider, Amazir, Guiliane Christien, Spicka, 34404 AoA, Magzu, Dirt666, Emilie Nazeraj et Uziiie @Mina Miedema

Ce qu’on peut retenir de cette exposition est la variété de la nuit, qui peut être vue et vécue de manières complètement différentes et opposées. On a jamais qu’une seule nuit, chaque nuit est l’une la plus différente de l’autre, et on ne peut jamais prédire ce qu’on va vivre le soir. ‘Et la nuit passe’, le temps glisse entre nos doigts, et tout ce qui nous reste, sont que nos peurs, nos tristesses, nos joies, nos désirs, nos rêves et nos souvenirs.

Nous tenons à remercier tous·tes les artistes qui exposent et ont pris le temps de parler avec nous. L’exposition prendra fin ce mercredi 4 octobre, avec un finissage à la Galerie Échomusée dans le 18ème arrondissement, à partir de 19 heures.

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