Quand l’art fait sensation
Par Antoine Pacôme
Illustration : Nathéane Le Meur, @nxthexne (Instagram)
Publié le 4 novembre 2021
À votre avis, quel est le sens de l’art, à la fois pour l’artiste et pour ses adeptes ? Quel est son but et son intérêt ? Qu’est-ce qui fait son succès et son existence ? Tant de réponses existent à ces questions, mais l’une d’entre elles, au moins, peut être éclaircie : quelle est la nature de l’art ?
La sensibilité de l’artiste est souvent perçue comme un sixième sens, car très mystérieuse. Si attractif depuis l’antiquité, l’art fascine et intrigue. De tous les intérêts, qui ont eu un attrait aux yeux des êtres humains, l’art est le plus élitiste et le plus populaire. Il revêt toutes les formes selon l’artiste qui le crée et cellui qui l’admire. Et, s’il faut donner une analogie à sa perpétuelle évolution et à son être, ce serait sûrement celle d’un arbre… Un hêtre. Donnons-lui cette forme. L’arbre de l’art repose sur sept racines, dont l’essor diffère dans le temps. La sculpture, l’architecture, le théâtre sont les plus anciennes. La littérature, la musique et la peinture surviennent peu après. Le cinéma quant à lui, forme la racine cadette ; bien qu’elle soit aujourd’hui la plus sollicitée. De ces racines sort de terre le solide tronc du temps qui laisse place à la formation de ses multiples branches incarnant tous les styles, méthodes, représentations, perceptions, interprétations et spiritualités.
L’arbre de vie
En permanence l’arbre croît et de nouvelles branches y poussent à chaque décade. Chaque approche de l’art y est développée et elle est différente pour chacun·e d’entre nous. La solidité de chacune de ses branches, de chaque parcelle d’écorce, et le destin de chaque bourgeon et de chaque feuille, dépend des artistes qui les ont créés et de l’intérêt qu’y portent ses dizaines, centaines ou milliers d’adeptes. Imaginez-vous l’immensité de cet arbre qu’est l’art ! Ne serait-ce pas là celui qu’on appelle l’arbre de vie ? Cet arbre cent fois plus grand que ceux qui composent la forêt dont il est la source et le cœur. Cette représentation de l’art par l’arbre de vie est la représentation physique de la sensibilité humaine.
C’est un rapport d’image. L’arbre de vie représente le cœur de la forêt, de la nature. Il est le garant de cette vie et en est l’incarnation. De la même manière, l’art semble être la source, le cœur et le garant de nos émotions et sa dimension de pérennité qui lui permet d’exister à travers le temps, nous rapporte l’image de nos émotions à travers toutes les époques et civilisations. Autrement dit, tant que nous conserverons l’art
en tant que source émotionnelle, nous gardons ce qui vient de notre propre coeur, nos émotions.
La volonté que nous déléguons à l’art, est alors celle de traduire la perception du monde de l’artiste dans une incarnation concrète. Ce sont ses émotions, ses pensées et sa vision qui sont transmises à travers une pièce, une toile, un livre, une statue ou un film. Mais ce sont les perceptions de celleux à qui sont destinées ces sensations qui donnent toute sa teneur à l’art. L’œuvre devient ainsi une fenêtre vers l’esprit. Je m’explique. La complexité de l’art réside dans le passage de l’abstrait, vers la description de l’émotion, par la représentation. Compliqué ? Faisons plus simple. Sur une œuvre, le désir de l’artiste est d’exprimer sa perception du monde et le message qu’il veut en transmettre. L’exigence de l’admirateur·ice est de retrouver la sensation qu’a ressenti l’artiste lors de sa création. L’artiste veut transmettre une sensation que l’adepte, de son côté, cherche à retrouver.
Un double regard porté sur l’œuvre
L’art est une simple rencontre entre expression et perception. C’est de l’émotion pure ! Et c’est la compatibilité entre la vision d’un artiste et celle de son·a spectateur·ice qui forme un art. Car l’unique vision de l’artiste dans son œuvre ne donne pas le résultat d’une unique vision chez l’adepte. Cellui qui cherche à évoquer l’amour, dans ce qui lui semble le plus pur, peut n’inspirer que la tristesse chez son admirateur·ice. Mais cela est une autre histoire.
Vient alors la question du pourquoi ? Pourquoi chercher à tout prix une œuvre d’art pour nous faire vivre l’émotion de l’artiste qui l’a créée ? D’ailleurs, pourquoi créer une œuvre? Et pourquoi sommes-nous tant attaché·es à l’art ? En réalité, si l’art est un simple outil, qui incarne physiquement l’abstrait de l’émotion, il en devient la source.
Il sert de passerelle entre l’émotion de l’artiste qui inspire sa création et celle qu’il évoque chez l’adepte, ce qui en fait un outil. Mais le fait qu’il dure dans le temps, lui permet de diffuser à tous·tes celleux qui le regardent, l’émotion qu’il inspire. Qu’elle soit voulue par l’artiste ou non. C’est son effet de durabilité qui lui confère ce pouvoir d’évoquer l’émotion. L’art permet de contrer la propriété éphémère de l’événement à procurer une émotion. L’instant est remplacé par l’œuvre d’art qui fait ressentir de l’émotion aussi longtemps qu’elle existe. C’est en ce sens que l’art est aussi outil que source d’émotion.
Et c’est cette capacité durable qui inspire l’artiste car, si l’artiste fonde son œuvre sur son émotion c’est, non seulement pour la transmettre, mais c’est également pour la vivre en tant que spectateur·ice. Ainsi, par sa propre œuvre, il trouve une source permanente d’émotion et peut même s’en servir pour d’autres œuvres. Finalement, c’est pour vivre la sensibilité de l’art qu’il y a tant d’admiration pour les artistes.
Art et humanité
C’est le besoin de vivre la sensibilité et l’émotion qui nous donne cette passion de l’art. Car il en est l’incarnation. L’abstrait d’une émotion nous rend volage. Mais à travers l’œuvre d’art, nous pouvons y trouver une émotion concrète et… éternelle.
Alors, si nous considérons que c’est cette sensibilité qui fait de nous des êtres humains, par notre capacité à la percevoir, ne pouvons nous pas déduire, que notre attachement à l’art, qui en est la source la plus pérenne, nous prouve notre perpétuel besoin de retrouver la sensation d’être humain ?