Stratégie gagnante
Par Léonie Houssin
Publié le 16 février 2021
Avec The Queen’s gambit, Scott Frank et Allan Scott nous entraînent dans les États-Unis des années cinquante, en mettant en scène le parcours impressionnant d’une jeune championne d’échecs, Elisabeth Hamon.
Disponible sur Netflix depuis octobre 2020, cette mini-série en sept épisodes, intitulée dans sa version française Le jeu de la dame (au mépris de la signification originelle du titre ; le queen’s gambit est une stratégie d’ouverture aux échecs et se traduit en français par le gambit dame) suit le parcours d’une orpheline du Kentucky douée de facultés presque surnaturelles aux échecs, qui lui permettent grimper les échelons dans le rang mondial des champions d’échecs. Je dis bien champions, car dans la série ne figure aucune femme championne autre que la protagoniste. Elisabeth Hamon, incarnée par Anya Taylor-Joy, évolue donc dans cet univers très masculin et parvient à s’y faire une place malgré le sexisme ambiant, à mon avis sous-représenté dans la série. Orpheline très jeune, Elisabeth se raccroche aux échecs pour dépasser sa situation, et échappe au déterminisme social dont elle aurait dû être victime dans la réalité du monde. Mais dans le monde de Netflix, les hypnotiques donnés aux enfants de l’orphelinat révèlent chez Elisabeth des hallucinations qui lui permettent de jouer des parties dans sa tête, contribuant à développer chez elle un niveau très impressionnant dans cette discipline. Si le synopsis est original (il est rare de voir intervenir ce jeu quelque peu élitiste dans des fictions populaires), il est aussi légèrement fantastique et attendu, suivant l’éternel modèle de la princesse Disney, née dans la misère mais qui finit par atteindre la gloire, grâce à son talent bien sûr, mais aussi un peu à sa beauté qui fascine les autres personnages.
Difficile de savoir si l’ascension d’Elisabeth représente l’idéal américain du « self-made man », ou ici « self-made women », ou bien répond à une revendication féministe qui veut prouver que les capacités intellectuelles d’une femme sont égales, sinon supérieures à celles d’un homme, si l’on veut rester binaire. Car si le personnage se démarque des autres femmes de sa génération, bien souvent au foyer, elle n’a rien d’une militante féministe, si ce n’est de refuser que son sexe soit une limite à son ambition personnelle. Elisabeth Hamon est un personnage intéressant, bien que peu complexe, car véritablement imparfaite, froide et en proie aux addictions. Le jeu très particulier, presque irréel, d’Anya Taylor-Joy rend Elisabeth désagréable et présomptueuse, mais cela fait la particularité de son personnage. Le choix d’une actrice qui une énième fois répond aux standards de beauté est néanmoins regrettable, face à des acteurs masculins qui eux peuvent se permettre de ne pas avoir un physique considéré comme attrayant.
Du côté de la réalisation, la série se fait remarquer par son esthétisme, aux couleurs vives des années cinquante, incluant les cheveux roux d’Elisabeth et les beaux papiers peints de sa maison. Les cadrages, les décors, les costumes se veulent être agréables à l’œil, et c’est réussi. La réalisation est dynamique, presque « élastique » dans le sens où les très rapides mouvements de caméra peuvent donner le tournis, rappelant les ivresses de la protagoniste. La musique n’a pas grande place dans cette fiction et n’est pas particulièrement marquante.
Finalement, il s’agit là d’une série divertissante, dont l’univers est agréable, mais qui ne se démarque pas par la finesse de son scénario ni de ses personnages. Heureusement, les scènes autour de l’échiquier, où la communication est proscrite, font une place au non-verbal et aux sous-entendus souvent absents dans le cinéma américain. Un regret toutefois, si l’on est amateur·ice d’échecs, il ne faut pas s’attendre à ce qu’il soit fait une très grande place au jeu et aux parties ; nous avons peu l’occasion d’observer l’échiquier, et les raisons de la victoire ou de l’échec d’Elisabeth restent obscures ; l’on aurait aimé apprendre ce qu’est la défense sicilienne ou ce fameux gambit dame qui a une place déterminante dans l’ascension de la championne. Mais la série est de ce fait très accessible pour les petits joueurs d’échecs et même pour ceux qui n’en sont pas adeptes, le nœud de l’histoire reposant sur l’évolution sociale d’Elisabeth, non sur son jeu. Bref, parce que ces épisodes ne sont que sept, ils valent la peine d’être vus.