Assistons-nous à la fin des partis politiques ?
Par Excellère Halbrand
Illustration ©Claire Boyer
Publié le 3 novembre 2024
Selon le Cevipof [1], dans une enquête recouvrant la décennie 2009-2019 [2], seulement 12% des Français·es font confiance aux partis politiques. Ce résultat interroge alors l’évolution et la place de ces organisations, protagonistes primordiaux dans la compétition politique. En effet, le prestige des partis politiques semble s’affaiblir : ils ne sont plus considérés par les citoyen·nes comme le meilleur moyen pour les représenter.
Toujours selon ce centre de recherche, 59% des citoyen·nes soulignent la nécessité que les décisions soient prises par elle·ux et non par le gouvernement. On observe donc un véritable décalage entre les citoyen·nes et le noyau d’élites dirigeantes : les citoyen·nes ne se reconnaissant plus dans les doctrines proposées et se détournent de ces partis politiques, pourtant composés de politicien·nes hautement qualifié·es. Est-ce donc la mort des partis politiques ?
La République en marge ?
Le 6 avril 2016, Emmanuel Macron crée La République en marche. Il l’identifie comme un « mouvement politique » ne se positionnant pas sur le traditionnel échiquier gauche/droite[3]. Séduit·es, les citoyen·nes votent en majorité pour cette nouvelle entreprise politique : Macron remporte l’élection présidentielle avec 66,1% des voix[4]. C’est un tournant majeur, qui bouscule la conception et la place des partis politiques dans la compétition politique. Une simple association (LREM) gagne face à des partis dit « traditionnels », qui sont de véritables institutions, caractérisées par une certaine longévité. Le glas a-t-il sonné pour les partis politiques ? Est-ce le commencement d’une ère inédite avec la naissance de nouvelles formes partisanes ?
Nous allons voir, qu’effectivement, la création de ces « mouvements politiques » semblent amorcer une nouvelle phase de la compétition politique. Cependant, ces mouvements seront obligés de s’institutionnaliser pour survivre à travers les années et finissent par reprendre le modèle des partis politiques « traditionnels ». Ainsi, ce manque de renouvellement de la forme partisane des partis politiques ne traduit-elle pas un essoufflement généralisé de la compétition politique ?
Au départ, le seul but de La République en marche est de promouvoir et d’appuyer la candidature d’Emmanuel Macron aux élections présidentielles de 2017. Il s’agit donc d’une rupture avec la fonction traditionnelle des partis politiques. En effet, ces derniers servaient surtout à donner corps à un programme uni et à sélectionner un·e candidat·e pour les élections qui représentait au mieux les idées du parti. Cependant, Emmanuel Macron innove : il ne présente pas de programme fixe avant la troisième semaine du début des élections présidentielles de 2017. De plus, il ne s’attache à aucune couleur politique et vend l’idée d’un parti « mouvementiste » qui se déplacerait au gré des coalitions. Il ne s’appuie pas sur un base militante solide et institutionnalisé. En effet, l’engagement militant est rapide et intermittent, se faisant principalement au travers d’une plateforme numérique. Emmanuel Macron, le plus jeune président de la Vème République, véhicule l’image d’un « mouvement politique » souple, centré sur son « hyperpersonnalisation ». Il est également soutenu par un réseau proche de donateur·ices aisé·es pour sa campagne présidentielle.
Emmanuel Macron apparait ainsi comme un loup solitaire n’ayant nullement besoin du soutien d’un parti politique solide, institutionnalisé pour gagner l’élection présidentielle haut la main. De quoi déstabiliser les partis politiques « traditionnels ». Cependant, ces organisations plus anciennes démontrent l’importance d’une structure pour assurer leur longévité.
‘En marche’ vers la case départ
Effectivement, si les nouveaux « mouvement politiques » veulent se pérenniser, ils doivent s’institutionnaliser nationalement et localement. Grâce à cela, ils créent un véritable réseau de militant·es et adhérent·es fidèles. Même si Emmanuel Macron désire, lors de sa campagne présidentielle en 2017, que LREM ne soit pas considéré comme un parti politique, il finit par lui en faire prendre la forme. En effet, suite à sa victoire en 2017, LREM dès juillet, créent des statuts pour organiser le parti présidentiel. Il faut permettre une prise de décision rapide et efficace : la présence d’individus compétent·es, qui vivent par la politique ; maitrisant ses règles du jeu étant essentiel.
LREM s’inspire alors du modèle des partis politiques traditionnels et progressivement s’institutionnalise à leur image. La volonté « mouvementiste » d’Emmanuel Macron apparait alors comme l’introduction à la pérennisation et l’ancrage de LREM dans la compétition politique. Se voulant innovateur et plus proche des citoyen·nes, qui critiquent le système représentatif partisan, LREM s’en éloigne, composé de politicien·nes hautement qualifiés. Ainsi, le champ politique semble traverser par une crise où les partis politiques sont véritablement en décalage avec les citoyen·nes et n’arrivent plus à représenter leurs souhaits.
De fait, la forme même des partis politiques parait épuisée. L’abstention est en hausse : 25% pour les élections présidentielles de 2017, 28% pour celles de 2022[5]. Les épisodes de l’été 2024 (dissolution, élections législatives anticipées) démontre d’une tension entre celle·ux qui votent et celle·ux qui dirigent. Les limites du système représentatif ressurgissent : comment concilier les intérêts des « citoyen·nes » et des élites dirigeantes ? Existe-t-il d’autres formes de gouvernances ? Face aux enjeux du XXIème siècle (crise climatique, guerres en Ukraine, au Proche-Orient), il apparait nécessaire d’aborder ces questionnements, qui ne font que les distendre. Espérons que les solutions soient trouvées.
Sources
• « La fin des partis ? » Entretien avec Frédéric Sawicki, 2022, Politika
• « Les partis sont-ils voués à disparaitre ? » Frédéric Sawicki, Que faire des partis politiques ? 2018
• Qu’est-ce que le macronisme ? Le 1, Sous la direction d’Éric Fottorino, 2018
• Un parti encore non identifié, La République en marche 2017-2021, Julien Fretel
• « La République En Marche et les élections municipales de 2020 : entre affirmation et invisibilité partisanes », Rémi Lefebvre, 2022
[1] Centre de recherches politiques de Science Po, anciennement Centre d’études de la vie politique française
[2] https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/
[3] Noter que le positionnement d’Emmanuel Macron par rapport au clivage gauche/droite n’est pas nouveau. Le général Charles de Gaulle utilisait déjà cet argument en 1946 lors de la création de son parti politique le Rassemblement du Peuple français (RPF) https://fresques.ina.fr/de-gaulle/parcours/0003/de-gaulle-le-retour-au-pouvoir.html
[4] https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i19113753/presidentielle-2017-discours-de-victoire-d-emmanuel-macron-une-arrivee-tout
[5] https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/25/resultats-de-l-election-presidentielle-une- 5 abstention-proche-des-records_6123603_6059010.html